Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°3/2018). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Robert M. Clarke et William L. Mitchell, Deception: Counterdeception and Counterintelligence (CQ Press, 2018, 312 pages).

Les actions de déception sont trop souvent réduites à une image : celle des chars gonflables utilisés pendant l’opération Fortitude, probablement la plus ambitieuse opération de déception de l’histoire, destinée à cacher aux Allemands le lieu du débarquement prévu en Normandie. Cependant, la déception dans l’art de la guerre revêt une réalité bien plus complexe, tant dans sa planification que dans son exécution. Le livre de Robert M. Clark – ancien analyste à la CIA et professeur associé à l’université Johns Hopkins – et William L. Mitchell – ex-officier du renseignement militaire américain et conseiller pour le ministère de la Défense danois – permet de toucher du doigt la richesse de cette problématique.

La première partie du livre est dédiée à l’analyse des fondamentaux théoriques et pratiques des opérations de déception. Les auteurs y reviennent bien entendu sur la question de la définition. Ils retiennent celle-ci : « La déception est un processus intentionnel pour imposer à une cible, à notre avantage, une vision faussée de la réalité. » La méthodologie de ces opérations, et en particulier la question de leur insertion dans la boucle décisionnelle de l’adversaire, est détaillée.

Robert Clark et William Mitchell insistent ensuite sur l’aspect crucial de la connaissance de la cible pour qu’une opération de déception réussisse : connaissance de la personnalité des chefs et des circuits de décision adverses, mais aussi compréhension culturelle profonde. Il faut également qu’elle soit montée autour d’une « bonne histoire ». Il est donc nécessaire de faire passer des messages crédibles. Souvent, la meilleure solution est de chercher à renforcer les croyances de l’ennemi. Pour diffuser cette « histoire » vers l’adversaire, les possibilités sont multiples mais leur choix est sensible. Il est par exemple important de pouvoir cartographier les canaux faisant l’objet d’une veille par la cible, afin de s’assurer qu’elle pourra recevoir le message et qu’elle lui accordera de la crédibilité. Les auteurs analysent les caractéristiques de tous les canaux (renseignement humain, électronique, image, etc.) pour aider à cette sélection. Un chapitre entier est dédié au cyber, qui représente, aux côtés de l’intelligence artificielle, l’avenir des opérations de déception, en tout cas au niveau stratégique. La question de la contre-déception vient clore la première partie de ce livre.

La deuxième partie de l’ouvrage, originale, est ce qui en fait un véritable manuel utilisable pour l’enseignement – ou l’entraînement. On y trouve en effet quatre exercices : cartographie des capteurs, planification d’une opération de déception « générale » (niveau stratégique), planification d’une opération de déception militaire et détection d’une opération de déception adverse. Tous les quatre sont suffisamment détaillés pour être exploités directement ou utilisés pour concevoir des exercices plus ambitieux.

Ce livre au style clair est donc une excellente introduction au concept de déception dans l’art de la guerre. Il remplit particulièrement bien son rôle pédagogique, en traitant tous les points clés concernant ce type d’opérations, en recourant à la littérature de référence sur le sujet et en illustrant le propos par des vignettes historiques. Les exercices de fin de livre complètent efficacement le volet théorique.

Rémy Hémez

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