Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°3/2018). Panagiota Anagnostou propose une analyse de l’ouvrage de Georges Prévélakis, Qui sont les Grecs ? Une identité en crise (CNRS Éditions, 2017, 184 pages).
La crise grecque n’est-elle que le symptôme de la crise plus profonde de l’État-nation et de la modernité ? Comment la Grèce moderne a-t-elle pu surmonter les périodes de crise
de son histoire ? De quelles ressources dispose-t-elle aujourd’hui et « que peut nous enseigner l’expérience grecque quant au rapport entre l’Orient et l’Occident dans
l’avenir ? » Puisant dans les outils théoriques de la géographie, à travers une analyse géopolitique et une écriture fluide, l’auteur parcourt des siècles d’histoire pour décrire l’ambivalence des relations entre la Grèce et l’Europe, et chercher les sources d’un renouveau grec dans la crise actuelle, sources qui pourraient aussi constituer les ressorts d’une refondation de l’Europe.
Préférant le terme « iconographie », emprunté à Jean Gottmann, à celui d’identité, qu’il considère comme trop vague, Georges Prévélakis expose les différentes échelles symboliques et d’expériences sensibles qui se superposent, se juxtaposent dans les siècles pour former l’iconographie grecque, à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Précédant la construction des États nationaux, l’« iconographie » de la Grèce développée en Occident annonçait l’avènement de la modernité qui devait, à son tour, influencer la construction de l’État grec moderne. L’auteur montre que si l’État-nation européen s’est construit en lien direct avec le contrôle absolu d’un territoire, mobilisant le paradigme antique des cités-États pour asseoir le nationalisme, les territorialités ottomanes n’étaient pas homogènes permettaient la diversité des espaces, en rapport avec leurs traits géographiques, et la multiplication des réseaux et des circulations. La religion jouait quant à elle un rôle d’intermédiaire, entre le local et l’empire ottoman organisé en millets.
C’est ce passé ottoman qui est responsable du retard de la Grèce dans sa modernisation et qui la différencie des autres pays européens en crise ces dernières années. Toute analyse économique qui ne prendrait pas en compte les facteurs historiques et géographiques particuliers au pays – opportunisme, clientélisme, fragmentation de la propriété foncière, perception souvent hostile de l’État, mais aussi les effets néfastes de la rente – selon l’auteur –, surtout après 1981 – est vouée à l’échec.
Le néo-hellénisme a conservé, et peut réactiver aujourd’hui, « sous le choc salutaire de la crise », des traits qui pourraient aider la Grèce, et l’Europe, à dépasser les effets du nationalisme en crise. Plus spécifiquement, la langue, la famille, la tradition des villes ottomanes, la marine marchande, la diaspora et la religion constituent, pour l’auteur, des ressources pouvant servir à contourner les blocages liés à l’État moderne, agir au
« glocal », et gérer les relations avec des civilisations non occidentales. Cette
« iconographie » néo-hellénique pourrait à nouveau servir à l’Europe dans le monde post-westphalien et pour ses contacts avec l’Autre.
On peut ne pas adhérer à l’analyse culturaliste, à la recherche de l’essence néo-hellénique et aux solutions passant par la libéralisation, mais l’ouvrage de Prévélakis apporte au public francophone des clés pour la compréhension de la Grèce, et de ce qui l’attache à, ou la sépare de, l’Europe en ce début de XXIe siècle.
Panagiota Anagnostou
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