Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2020). Juan Flores Zendejas propose une analyse de l’ouvrage de Jonas B. Bunte, Raise the Debt. How Developing Countries Choose Their Creditors (Oxford University Press, 2019, 288 pages).

Jonas Bunte, chercheur à l’université de Texas, étudie les sources de financement externe des pays en voie de développement (PVD). Le point de départ de l’ouvrage est la diversité des structures de prêts de ces pays. Par exemple, le volume des prêts accordés par la Chine est très variable selon les États. Bunte démontre, de manière convaincante, que les rapports financiers établis entre États créanciers et emprunteurs dépendent autant des premiers que des derniers. Selon les intérêts dominants dans les PVD, les préférences diffèrent, ce qui vient modifier les flux internationaux des capitaux.

Bunte analyse les dynamiques internes des pays et avance un modèle avec trois groupes socio-économiques : travail, industrie, et finance. Chacun a ses préférences qui sont fonction des implications et conditions des prêts provenant de quatre types de créanciers : BRIC (Brésil, Russie, Inde, et surtout Chine), États occidentaux, créanciers privés, et organisations multilatérales. Ainsi, le groupe « travail » aura une préférence pour les prêts provenant des BRIC. La principale raison tient ici à la création potentielle de nouveaux emplois. D’autre part, ce groupe voit d’un mauvais œil les prêts des organisations multilatérales à cause des conditions qui leur sont souvent attachées, en particulier celles liées aux diminutions des dépenses publiques.

Au contraire, le groupe « finance » sera favorable aux prêts des organisations internationales ou à ceux des pays occidentaux, car ces prêts sont souvent accompagnés de conditions sur les politiques économiques favorables à la stabilité macroéconomique et à la valorisation des actifs financiers. En revanche, ce groupe sera opposé aux prêts provenant des BRIC, car ils constituent des concurrents potentiels sur le financement des projets d’infrastructure.

Enfin, l’« industrie » manifeste également ses propres préférences. Ces différents groupes forment des coalitions et font pression sur leurs gouvernements. Par exemple, l’« industrie » et le « travail » peuvent être favorables aux prêts provenant des BRIC. Si cette coalition (appelée « corporatiste ») est dominante, les prêts provenant de la Chine représenteront la part du lion. Selon la force d’organisation de ces coalitions, les responsables politiques se montreront plus ou moins conciliants.

Le livre de Bunte combine travail de terrain et analyses quantitatives. La première partie du livre est consacrée aux aspects théoriques et à trois études de cas. La recherche de terrain porte sur trois pays : l’Équateur, le Pérou et la Colombie. Tous trois ont des profils économiques proches, mais présentent des contrastes significatifs s’agissant des groupes dominants. Alors qu’en Colombie la coalition finance-industrie est très puissante, en Équateur la coalition dominante est la corporatiste. La Colombie préfère ainsi les prêts provenant des créanciers privés, alors que l’Équateur (qui a fait défaut sur ce type de dette sous Rafael Correa) préfère les financements chinois. La deuxième partie du livre se consacre à l’analyse quantitative. Les indicateurs utilisés pour mesurer la force de chaque groupe et leur capacité à s’organiser sont discutables mais, globalement, les résultats sont robustes. Néanmoins, l’instabilité des coalitions et l’incertitude géopolitique actuelle peuvent modifier radicalement les sources de financement de certains pays.

Juan Flores Zendejas

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