Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2020). Agathe Demarais propose une analyse de l’ouvrage de Clotilde Champeyrache, La face cachée de l’économie. Néolibéralisme et criminalités (Presses Universitaires de France, 2019, 304 pages).
Clotilde Champeyrache s’intéresse ici aux liens existant entre néolibéralisme et développement de la criminalité organisée (trafics de drogue, d’êtres humains, prostitution, fraude fiscale, contrefaçons…) : la théorie économique moderne serait mal armée pour étudier les phénomènes criminels, dont elle favoriserait par ailleurs l’émergence. L’approche retenue présente de multiples exemples de dérives criminelles, notamment liées aux mafias italiennes.
Dans la première partie de l’ouvrage, Clotilde Champeyrache s’attache à montrer que les économistes ne prêtent que peu d’attention aux activités illégales, dont le néolibéralisme favoriserait, selon elle, l’émergence. Le propos ne manque pas d’intérêt, notamment lorsqu’il aborde des questions telles que les logiques d’action des groupes criminels, qui peuvent avoir recours à des pratiques non rentables (comme le racket) pour asseoir leur puissance à long terme. Mais cette partie de l’ouvrage s’avère peu convaincante : l’auteur y présente surtout une critique générale du néolibéralisme, qui favoriserait la création de richesse au mépris du droit et de l’éthique. Cette partie du livre s’apparente plus à un essai politique qu’à une analyse économique.
Le lecteur aurait cependant tort de ne pas poursuivre sa lecture, la deuxième moitié de l’ouvrage s’avérant passionnante. Clotilde Champeyrache, dans la ligne de ses excellents ouvrages précédents dédiés à la mafia, y présente un panorama stupéfiant de l’infiltration de l’économie réelle par les organisations mafieuses. Les exemples illustrent les techniques employées pour blanchir l’argent ; comment les secteurs du BTP, du tourisme et du commerce sont particulièrement pénétrés par des organisations mafieuses ; et pourquoi il ne peut exister de mafieux repentis. La lecture permet d’ouvrir les yeux sur un pan de l’économie et de la société dont on ne soupçonne souvent pas l’existence. Le lecteur ne regardera plus jamais les prisons, ports, et zones minières (lieux susceptibles d’abriter des activités illégales) de la même manière.
La force de la seconde partie de l’ouvrage réside dans sa capacité à montrer à quel point la frontière entre les économies légale (upperworld) et illégale (underworld) s’avère aussi floue que poreuse, ce que les groupes criminels ne manquent pas d’exploiter. Certaines facettes des activités mafieuses peuvent prendre une forme légale (par exemple la production de béton, qui permet de contrôler les activités de construction sur un territoire). À l’inverse, certaines opérations illégales, ou à la limite de la légalité, peuvent être réalisées par des personnes bien insérées dans les circuits économiques légaux (par exemple dans le cas de la fraude fiscale).
L’ouvrage de Clotilde Champeyrache recèle nombre de pépites (notamment dans ses exemples consacrés à la mafia italienne), même si certains des passages consacrés aux méfaits supposés du néolibéralisme s’avèrent décevants. En refermant le livre, le lecteur pourra avoir l’impression qu’il a lu à la fois une critique (politique) du néolibéralisme et un exposé (économique) passionnant sur diverses formes mal connues de criminalité. La finesse et la clarté de l’exposé des parties du livre consacrées à la criminalité organisée en font un ouvrage de référence pour tous ceux qui s’intéressent à l’impact de celle-ci sur l’économie.
Agathe Demarais
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