Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2021 de Politique étrangère (n° 2/2021). Alain Antil, directeur du Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Guillaume Blanc, L’invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l’éden africain (Flammarion, 2020, 352 pages).

Guillaume Blanc se livre ici à une lecture critique et salutaire de cet aspect particulier de la coopération Nord-Sud qu’est la protection de l’environnement à travers l’histoire des parcs naturels en Afrique subsaharienne.

Les premiers parcs sont nés au XIXe siècle en Amérique du Nord, les Européens suivant quelques décennies plus tard. Ces derniers, pendant la période coloniale, s’inquiètent de certaines dégradations de l’environnement en Afrique (déforestation, disparition d’espèces animales, avancées des déserts…) et importent la mode de ces conservatoires de la nature que sont les parcs. Après les indépendances, ces politiques sont menées par des agences internationales (Union internationale pour la conservation de la nature [UICN], Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture [UNESCO]) ou des grandes organisations non gouvernementales (Fonds mondial pour la nature [WWF]). Des programmes de recherche sont mis en place, des experts du Nord missionnés. Les gouvernements africains, pour diverses raisons (opportunisme financier, développement du « tourisme vert », soft power, opportunité pour la puissance publique de renforcer son emprise sur les espaces ruraux…) s’allient à ces acteurs internationaux pour la mise en place et la gestion des parcs. Ces efforts seront redoublés à partir du rapport Brundtland (1987), qui contribue à inscrire à l’agenda global la notion de « développement durable ».

Cette importation des modes de protection de la nature est, comme le montre l’auteur, problématique. Elle s’enracine dans un imaginaire romantique et colonial où l’Afrique est un éden qu’il faudrait protéger de la souillure de l’homme. Cette mythologie est portée sans discontinuer par différentes littératures (de Tarzan au National Geographic), imprégnant l’expertise et la mise en place des politiques publiques. La « mise en parc » représente une sorte d’acmé de cette pensée malthusienne, l’idéal-type de ces installations étant une nature débarrassée de ses habitants.

Spécialiste de l’Éthiopie, Guillaume Blanc analyse méticuleusement la mise en place du parc Simien (dans la région du Tigré) et l’expulsion progressive de ses habitants, au moins de ceux pratiquant des activités économiques jugées « agressives » pour l’environnement par les experts et les autorités. Cette « mise en parc » implacable illustre la manière dont les autorités centrales se comportent avec certaines populations nationales. Ainsi, on arrache des personnes de leur terroir sans se soucier qu’elles puissent retrouver les mêmes niveaux de vie dans les nouveaux espaces qui leur sont assignés.

L’analyse centrale de cet ouvrage peut servir, au-delà des questions environnementales, à l’étude des modes de coopération Nord-Sud : souvent des politiques censées aider les plus modestes sans jamais prendre en compte leur vision des choses. Si le livre est très stimulant, on aura toutefois deux regrets. Sur un tel sujet, on aurait aimé que l’auteur s’attarde un peu plus sur certains concepts clés. Comment par exemple parler de « nature » en laissant de côté l’œuvre monumentale de Philippe Descola ? On regrettera également que les constats de cet ouvrage, très convaincants, ne soient pas mis en regard d’une critique de certains courants de l’écologie depuis ses origines, très malthusiens, et qui considèrent l’homme comme la maladie de peau de la terre – pour paraphraser Nietzsche.

Alain Antil

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