Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2021-2022 de Politique étrangère (n° 4/2021). Vincent Piolet propose une analyse de l’ouvrage de Marlène Benquet et Théo Bourgeron, La finance autoritaire. Vers la fin du néolibéralisme (Raison d’agir, 2021, 168 pages).
Lorsque David Cameron annonce en 2013 un référendum sur la sortie ou le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne, c’est un coup de tonnerre dans l’économie britannique. Une grande majorité du patronat – dont la puissante City of London Corporation qui gère la finance londonienne – ne veut surtout pas sortir d’une union économique et politique dont elle tire profit. Empêtré dans des calculs visant les faveurs de l’aile la plus à droite de l’échiquier politique, David Cameron tente pourtant le coup, certain que le camp du Remain l’emportera. La suite est connue. Les auteurs de cet ouvrage, Marlène Benquet et Théo Bourgeron, respectivement chargée de recherche au CNRS ainsi qu’à l’université Paris Dauphine, et chercheur à l’université Paris Nanterre et à l’University College de Dublin, s’attellent à décrire, dans ce contexte, le coup de force de la finance dite autoritaire.
Ils analysent avec précision les sources de financement des camps du Remain et du Leave, identifiant les rapports de force antagonistes à l’intérieur du secteur de la finance : les banques, les institutions financières et les assurances ont financé le premier camp tandis que les hedge funds et le capital-investissement le second. Ce dernier camp a pu aussi compter sur les puissants relais idéologiques des think tanks de Tufton Street à Londres, réunis dans le réseau Atlas Network, dont le projet politique sert leur cause. Pour ces relais, le régime politique d’accumulation s’appuyant sur un État régulateur des marchés financiers doit être renversé au profit d’idées libertariennes, dans le prolongement d’une partie de l’école autrichienne (Ludwig von Mises, Friedrich Hayek), qui promeuvent une économie de transaction de gré à gré, appuyée sur un État autoritaire à même de faire respecter un système social basé sur une liberté totale, sans considération d’un quelconque bien commun. En l’absence d’un régime de justification et de dispositifs de compensation des inégalités, il ne reste que l’usage de la force comme mode de régulation de la vie sociale.
Le poids considérable des hedge funds et du capital-investissement au Royaume-Uni explique ce rapport de force, difficilement exportable pour le moment dans un pays comme la France. Mais les auteurs notent que des stratégies analogues sont observables aux États-Unis, avec la mise en place progressive de nouveaux rapports de force mondiaux. Le régime d’accumulation libertarien-autoritaire participe à la définition d’une nouvelle situation géopolitique. L’ordre international néolibéral instaurait une bipartition du monde radicale. D’un côté : les pays du Nord, liés entre eux par des accords de toutes sortes – militaires à travers l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), économiques à travers les grands traités commerciaux régionaux, politiques à travers l’Union européenne et le G7. De l’autre : les pays du Sud, terrain de jeu des forces capitalistes du Nord, poussés aux conflits de toutes sortes : conflits commerciaux à travers un dumping social et fiscal sans fin, mais aussi conflits militaires soutenus par le Nord pour l’accès aux ressources, aux marchés et à la main-d’œuvre. L’ordre international qui monte annonce la fin de cette bipartition du monde. Mais ce ne sont pas les conflits du Sud qui cessent : c’est le pacte de non-agression tacite entre États du Nord qui est rompu.
Vincent Piolet
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