Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2021-2022 de Politique étrangère (n° 4/2021). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Stephen Biddle, Nonstate Warfare: The Military Methods of Guerillas, Warlords, and Militias (Princeton University Press, 2021, 464 pages).

Une idée reçue veut que les acteurs non étatiques combattent différemment des armées classiques. La réalité ne reflète cependant pas forcément ce constat : le Hezbollah n’a-t‑il pas, par exemple, cherché à tenir certaines portions de terrain en 2006 au Liban, loin donc du modèle de la guérilla ? À partir de ce constat, Stephen Biddle, professeur d’Affaires publiques et internationales à l’université de Columbia et auteur de l’ouvrage de référence Military Power: Explaining Victory and Defeat in Modern Battle (Princeton University Press, 2004), expose et conceptualise les différents choix stratégiques et tactiques des acteurs non étatiques.

Pour ce faire, il déploie une « nouvelle théorie » où leur comportement n’est pas classé selon la typologie conventionnel/guérilla/hybride, mais plutôt positionné par rapport à deux types-idéaux militaires : le « napoléonien » et le « fabien ». L’archétype napoléonien correspond à l’utilisation « de formations exposées reposant sur une puissance de feu massive pour défendre ou saisir du terrain qui ne sera pas volontairement abandonné », l’emploi de la force brute, de troupes en uniformes avec une ligne de front bien identifiable, etc. La méthode fabienne – en référence à la stratégie de l’empereur romain Quintus Fabius Maximus Verrucosus (280-203 avant J.-C.) face à Hannibal – est « une absence absolue de volonté d’accepter de s’exposer ou de défendre du terrain ». Elle implique également l’accent sur la dispersion, la dissimulation et le rejet de l’armement lourd, même s’il est disponible.

Pour tester sa théorie, S. Biddle développe cinq cas d’espèce : le Hezbollah au Liban en 2006, l’armée du Mahdi en Irak de 2003 à 2008, l’Alliance nationale somalienne en 1992-1994, les combats en Croatie en 1991-1995 et le Viêt-Cong en 1965-1968. Pour chacun, l’auteur ouvre par un résumé des événements, puis analyse les variables déterminant la position de l’acteur non étatique sur le spectre fabien-napoléonien. Il prend en compte trois « variables indépendantes » : la culture tribale, l’équipement, les enjeux et les institutions, ainsi que six « variables dépendantes » liées au comportement militaire : la furtivité, la saisie et la tenue du terrain, la dispersion, l’équilibre entre force brute et coercition, la possibilité de distinguer entre combattants et civils et l’organisation du théâtre de guerre.

S. Biddle conclut que la spécificité des méthodes employées par les acteurs non étatiques est de degré plutôt que de nature. Il insiste sur le fait qu’elle s’explique certes par les conditions matérielles d’exécution des combats, mais surtout par les données politiques internes aux organisations. Certains acteurs non étatiques demeurent incapables d’exploiter la technologie disponible. Ainsi, pour prédire leur comportement au combat, l’analyse de leurs institutions et des enjeux de la guerre est plus fondamentale que celle de la technologie disponible.

Bien que l’on puisse douter de la réelle nouveauté de la théorie de S. Biddle, son analyse tactico-opérative est claire, intéressante et excellemment étayée. Les conclusions qu’il en tire ouvrent un vaste champ de réflexion.

Rémy Hémez

>> S’abonner à Politique étrangère <<