Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2021-2022 de Politique étrangère (n° 4/2021). Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du Centre Énergie & Climat de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Bill Gates, How to Avoid a Climate Disaster: The Solutions We Have and the Breakthroughs We Need (Penguin Random House, 2021, 384 pages).

Bill Gates est, à l’instar d’Elon Musk, une boussole pour l’avenir économique et technologique de la planète. Il a su non seulement créer l’une des premières entreprises mondiales d’informatique, Microsoft, mais aussi établir la Gates Foundation, qui jouit d’une légitimité mondiale, et depuis six ans la Breakthrough Energy Coalition, qui vise à mobiliser le capital privé dans l’innovation pour la décarbonation, prenant des paris de long terme tout en menant des initiatives philanthropiques.

Bill Gates met en avant sa foi inébranlable dans l’innovation et la technologie, et montre que la décennie qui s’ouvre est décisive pour « éviter la catastrophe ». « We can do it », à condition qu’il n’y ait pas de partis pris idéologiques mais une prise de conscience qu’il va falloir défier les lois de l’inertie des systèmes énergétiques, en accélérant dans des proportions jamais vues. Dans un monde où l’accès à l’énergie est toujours dénié à presque un milliard d’habitants, où charbon et autres hydrocarbures sont dominants, il faudra mobiliser toutes les technologies existantes, investir massivement dans celles qui nous manquent encore et organiser tout cela de façon efficace, pour parvenir à un net zéro, seul horizon qui sauvera la planète. Tout cela en faisant attention à ne pas s’engager dans des investissements faisant baisser les émissions en valeur absolue sans permettre d’arriver à la neutralité carbone en 2050.

Bill Gates présente d’abord les données de façon didactique puis détaille, par grands secteurs d’émissions (énergie, agriculture, etc.), comment décarboner, décrivant défis et opportunités. La primauté de l’électrification et de l’électricité est mise en avant, et des grands principes d’action pour les politiques publiques et les autres acteurs des systèmes économiques sont énoncés, à commencer par une tarification du carbone. Certains postulats paraissent toutefois irréalistes ou « arrangeants », par exemple sur la capture directe du CO2 dans l’air, et surtout la capture et séquestration du CO2 à grande échelle et à bas coût.

Gates balaie ensuite rapidement la sobriété énergétique, et pour cause ; il est l’un des plus grands émetteurs individuels de gaz à effet de serre au monde. Quiconque prend une fois un jet privé pulvérise tous les records d’émission, et la compensation de ces émissions relève de la poudre aux yeux. Cela dit, il peut investir dans l’innovation pour un transport aérien propre, et nul doute qu’il le fait déjà…

L’enjeu de la justice climatique et sociale n’est qu’effleuré, ce qui interpelle alors que les crises actuelles de l’énergie et des chaînes de valeur vont, à maints égards, compliquer encore la donne. Si les technologies pourront faire beaucoup, et si l’innovation fera des progrès extraordinaires dans les prochaines années, trois grands obstacles se lèvent toutefois : l’acceptabilité sociétale, les populismes et les confrontations géopolitiques. Et ce de surcroît aux États-Unis, où Trump menace de revenir par la grande porte. Comment avancer en emmenant avec soi citoyens et consommateurs, sans renforcer clivages et inégalités, voire briser les institutions ?

Bill Gates a raison de mettre en avant un point essentiel : il faut laisser autant de place que possible à l’audace, aux expérimentations, aux innovations, aux entrepreneurs. Un message central de ce livre.

Marc-Antoine Eyl-Mazzega

>> S’abonner à Politique étrangère <<