La rédaction a le plaisir de vous offrir à lire ce second article de notre nouveau numéro de Politique étrangère (n° 1/2022), disponible à partir du 17 mars en librairies : « Où en est l’Accord de Paris sur le climat ? », de Christian de Perthuis.

Chaque COP est présentée comme celle de la « dernière chance », et celle de Glasgow n’a pas fait exception. Les portes de la conférence refermées, les médias ont parlé d’échec. L’impressionnant aréopage de chefs d’État présents en Écosse aurait à nouveau raté l’occasion de sauver la planète. Mais ce qui n’a pas été atteint en 2021 le sera peut-être en 2022 ? Soyons-en certains, la COP27 de Charm el-Cheikh sera à nouveau celle de « la dernière chance »…

La négociation climatique amorcée en 1992 avec l’adoption de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) est un peu déroutante pour les non-initiés. L’urgence climatique y est rappelée à tous étages. D’une COP à l’autre, les négociateurs semblent pourtant embourbés dans une course de lenteur, comme s’ils étaient victimes de ce que Stefan Aykut et Amy Dahan ont appelé le « schisme de réalité » – sorte de coupure avec le monde réel, où les impacts du réchauffement se multiplient.

Pour tirer le bilan des COP, il convient de prendre du recul. La COP26 était le premier point d’étape important dans le calendrier établi par l’Accord de Paris, excellente occasion de dresser un bilan de la mise en œuvre de cet accord. Les COP ne sont pas des lieux où les puissants de ce monde pourraient, d’un coup de baguette magique, sauver la planète. Elles constituent une enceinte où se construit, plus ou moins laborieusement, un cadre de coopération multilatérale face au réchauffement global.

Le seuil de +1,5 °C, cible de long terme

Du fait de l’inertie du système climatique, les actions conduites aujourd’hui pour réduire les émissions de gaz à effet de serre n’auront d’incidence sur le climat qu’au terme de deux ou trois décennies. C’est le stock de gaz à effet de serre présent dans l’atmosphère qu’il convient de stabiliser pour interrompre le réchauffement en cours, et pas simplement le flux annuel des émissions. D’où l’importance de fixer avec rigueur les cibles de long terme, pour guider l’action de court et moyen termes. Pour des raisons diplomatiques, la CCNUCC de 1992 était très vague en la matière. Son article 2 énonce que l’objectif ultime est de stabiliser le stock de gaz à effet de serre à un niveau prévenant toute « perturbation anthropique dangereuse du système climatique ». Sans davantage de détails, une telle cible de long terme permettait aux États de ratifier ce traité international sans s’engager sur un objectif précis. Ce qu’ils ont fait en ratifiant massivement la CCNUCC qui couvre désormais le monde entier.

Avec son horizon borné à 2012, le protocole de Kyoto (1997), premier texte d’application de la CCNUCC, n’a pas apporté plus de précisions sur l’objectif de long terme. Adopté en 2015, l’Accord de Paris a introduit une double clarification en la matière :

  • En termes de température moyenne, l’article 2 indique que l’objectif de long terme est de limiter le réchauffement climatique « bien en dessous de 2 °C » et de « poursuivre les efforts pour atteindre 1,5 °C ».
  • L’article 4 traduit l’objectif de température en termes de concentration de gaz à effet de serre. Il fixe aux parties l’objectif d’atteindre la neutralité climatique « dans la deuxième moitié du siècle ». Un tel équilibre entre les « émissions de gaz à effet de serre » et leur « absorption par les puits » permet de stabiliser le stock de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.

La COP26 grave donc dans le marbre l’objectif de 1,5 °C, qui s’impose comme la véritable cible de long terme. Le rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publié en 2019 est passé par là. Préparé à la demande des États insulaires les plus vulnérables au réchauffement, il souligne combien le coût d’un réchauffement à 2 °C dépasse celui d’un réchauffement à 1,5 °C. Cela est dû à la convexité de la courbe des dommages, comme disent les économistes, qui rend un monde à 2 °C bien plus difficile à vivre qu’un monde à 1,5 °C.

Les négociateurs climatiques ont également eu entre les mains l’actualisation des scénarios climatiques réalisée par le GIEC dans le cadre de son sixième rapport d’évaluation. Ces scénarios montrent en particulier la futilité des promesses de neutralité climatique à l’horizon 2050, s’il n’y a pas inversion de la trajectoire mondiale des émissions dès la décennie 2020. C’est à partir de ces projections que le secrétariat de la CCNUCC a jugé l’inadéquation entre les contributions nationales déposées par les différents États et l’objectif de long terme. Il a comparé les trajectoires obtenues en agrégeant les objectifs de réduction d’émissions affichés par les pays à celles répertoriées par le GIEC pour atteindre les différentes cibles de long terme. Le communiqué final de la COP26 a repris les seuls chiffres ayant trait à l’objectif de limitation du réchauffement à 1,5 °C, nouvelle jauge d’évaluation des politiques climatiques.

Les objectifs de moyen terme : au rythme de l’escargot

Les contributions déterminées au plan national (NDC) jouent un rôle central dans l’Accord de Paris. Déposées sur le registre des Nations unies, elles consignent les engagements que prennent les pays en matière d’atténuation, autrement dit leurs objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Ces contributions nationales doivent être actualisées au moins une fois tous les cinq ans. Celles portant sur la décennie 2020 ont été gravées dans le marbre à l’occasion de la COP26, dernier rendez-vous (retardé d’un an pour cause de pandémie) avant le démarrage de ce premier cycle d’engagement. Elles feront l’objet d’un bilan global en 2023, avant la remise de nouvelles contributions en 2025.

En 2015, au moment de la signature de l’Accord de Paris, les pays avaient été sollicités pour déposer leurs contributions « intentionnelles » sur un registre provisoire. D’après le secrétariat de la CCNUCC, la somme de ces contributions aurait conduit à un montant total d’émissions de gaz à effet de serre de l’ordre de 58,5 gigatonnes (Gt) d’équivalent CO2 (CO2eq) en 2030. La COP26 a formellement lancé le premier cycle quinquennal de l’Accord de Paris. La quasi-totalité des pays ont déposé leurs contributions nationales, conformément à leurs obligations. La somme de ces contributions conduirait, d’après le secrétariat de la CCNUCC, à des émissions de 53,8 Gt de CO2eq  en 2030. Depuis l’adoption de l’Accord de Paris, cela représente un progrès de 4,7 Gt (- 8 %).

On peut donc dire que l’on progresse – mais par rapport à ce qu’il conviendrait de faire, on avance au rythme de l’escargot. Pour une limitation du réchauffement global à 1,5 °C, il faudrait viser des émissions mondiales ramenées à 26 Gt de CO2eq en 2030, au lieu des 53,8 Gt où nous mènent les engagements pris lors de la COP26.

Autre illustration du rythme d’escargot : le cumul des émissions attendu sur la période. Si les pays réalisent l’intégralité de leurs contributions nationales, ils auront utilisé d’ici 2030 la totalité du budget carbone global donnant deux chances sur trois de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. Pour rester en ligne avec l’objectif de neutralité en 2050, il faudrait donc ramener soudainement à zéro le flux net d’émissions anthropiques à partir de 2030, ce qui ne semble guère réaliste.

Qui émet quoi ? Qui promet quoi ?

L’ambition climatique globale résulte de l’agrégation de contributions de 195 pays (plus l’Union européenne), aux structures économiques et aux systèmes énergétiques extraordinairement variés. Les contributions nationales des différents pays reflètent cette grande diversité de situations.

Les pays émergents sont les plus gros contributeurs à l’accroissement des émissions de gaz à effet de serre. Les deux premiers émetteurs du groupe, la Chine et l’Inde, ont des NDC exprimées en pourcentage du produit intérieur brut, ce qui leur permet d’accroître leurs émissions jusqu’en 2030. L’Inde (7 % des émissions mondiales) a annoncé à la COP de Glasgow viser une cible de neutralité climatique en 2070, sans préciser si cela allait modifier son objectif peu contraignant de 2030. La Chine (30 % des émissions) s’est engagée sur cette neutralité en 2060 et sur un pic avant 2030. Dans la décennie 2010, ce pays avait semblé s’approcher d’un tel pic en 2013, avant le redémarrage observé à partir de 2017. Les États-Unis (14 % des émissions mondiales) et l’Union européenne (8 %) ont significativement accru leurs NDC depuis la signature de l’Accord de Paris. Les États-Unis visent une réduction nette de leurs émissions de 50-52 % entre 2005 et 2030 ; l’Union européenne, une réduction nette d’au moins 55 % sur la période 1990-2030.

Dans le groupe assez hétéroclite du reste du monde, qui représente 40 % des émissions mondiales, deux catégories de pays méritent une attention particulière :

  • Les pays exportateurs d’énergies fossiles figurent parmi ceux qui ont beaucoup de difficultés à réduire leurs émissions. Leurs NDC sont généralement très peu contraignantes, comme l’ont montré de nombreux débats de la COP26.

• Les pays moins avancés ont des niveaux d’émissions encore très bas mais en croissance rapide. S’ils reproduisent les sentiers de développement basés sur l’énergie fossile, ils deviendront les grands émetteurs de demain.

Un reporting encore très insuffisant

Pour réduire l’écart entre les contributions affichées par les États et les scénarios compatibles avec une limitation du réchauffement à 1,5 °C, l’Accord de Paris ne dispose d’aucun moyen de coercition. Il prévoit en revanche, à son article 13, de construire un « cadre de transparence renforcé » permettant de réellement juger l’ambition des différents pays et de créer une compétition au mieux-disant.

Concrètement, ce cadre devrait imposer deux exigences aux différents pays. Tout d’abord, réaliser et publier, sous le contrôle de la CCNUCC, des inventaires nationaux calculant les émissions de gaz à effet de serre sur leur territoire à partir de standards internationaux communs. Ensuite, confectionner leurs contributions nationales à partir de ces inventaires, en définissant de façon harmonisée les objectifs de réduction d’émissions (périodes retenues, périmètres couverts et mode de calcul des objectifs). Une grande partie du travail de mise en œuvre de l’Accord de Paris a consisté à préciser les dispositions de cet article 13, en rédigeant un document méthodologique appelé Paris Rulebook, adopté par la COP24 de Katowice. S’il est correctement appliqué, le Rulebook permettra de disposer à partir de 2024 d’inventaires nationaux harmonisés, validés tous les deux ans par la CCNUCC, et d’un prochain jeu de NDC bien plus rigoureux lors du prochain cycle d’engagement. […]


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