Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2022 de Politique étrangère (n° 1/2022). Franck Petiteville propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Madeleine O. Hosli, Taylor Garrett, Sonja Niedecken et Nicolas Verbeek, The Future of Multilateralism: Global Cooperation and International Organizations (Rowman and Littlefield, 2021, 272 pages).

Cet ouvrage collectif entend, en quatorze chapitres, décliner les crises et évolutions, en cours et à venir, du multilatéralisme. Sa première partie est centrée sur les organisations internationales, la deuxième sur les organisations régionales, la troisième sur quelques régimes internationaux (aide au développement, climat, fiscalité internationale).

Parmi les facteurs de crise du multilatéralisme, la pandémie de Covid-19 est le plus saillant : mise en suspens de l’activité des organisations internationales vouées à l’éducation des enfants et à la promotion des droits des femmes (Fonds des Nations unies pour l’enfance et ONU Femmes) dans un contexte planétaire propice au regain de violences domestiques, mise à l’épreuve de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) par les « nationalismes sanitaires », tentatives de rebond de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international pour compenser les effets récessifs de la pandémie dans les pays en développement, défis de solidarité sanitaire interétatique pour des organisations comme l’Union européenne (UE) ou le Mercosur.

On s’étonne toutefois qu’un chapitre n’ait pas été consacré à l’effet dévastateur de la présidence Trump sur le multilatéralisme (retrait des États-Unis de l’accord climatique de Paris, de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, de l’UNESCO, du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, de l’OMS). De même, la montée en puissance de la Chine dans le multilatéralisme n’est brièvement évoquée que dans les chapitres consacrés à l’OMS, à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou à la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures. Quant au rapport de la Russie au multilatéralisme, il n’est pas traité, alors que l’obstruction de Moscou au Conseil de sécurité sur la Syrie a empêché tout règlement onusien d’une guerre qui a provoqué un demi-million de morts et des millions de réfugiés et déplacés. Enfin, les deux chapitres consacrés à l’UE n’étudient pas l’impact négatif du Brexit sur ses ambitions multilatérales. Le « facteur puissance » dans les recompositions actuelles du multilatéralisme paraît donc assez invisibilisé dans le livre.

Certes, l’ouvrage aborde des enjeux concrets de la crise du multilatéralisme (budgets des organisations internationales sous tension, divergences entre les intérêts commerciaux des États membres de l’OMC, aléas de la coopération climatique, etc.). Il se penche aussi sur des institutions et régimes parfois insuffisamment étudiés (Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, Association des nations de l’Asie du Sud-Est, Union africaine, régime fiscal international imposable aux firmes multinationales).

L’approche du multilatéralisme reste toutefois ici assez fonctionnaliste et segmentée. Manque un questionnement plus transversal sur la mise à l’épreuve des normes et des pratiques qui le sous-tendent (égalité en souveraineté des États et des droits des peuples, promotion de biens publics mondiaux, négociation collective, recours au droit). Enfin, la vocation prospective de l’ouvrage est discutable. Comprendre ce qui fragilise le multilatéralisme aujourd’hui est déjà un défi cognitif en soi. Imaginer ce qu’il pourrait devenir dans les années à venir est un pari que la plupart des chapitres ne relèvent pas vraiment, ou ne font qu’en pointillé.

Franck Petiteville

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