Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2022 de Politique étrangère (n° 3/2022). François Gaulme propose une analyse de l’ouvrage de Frédéric Lejeal, Le déclin franco-africain. L’impossible rupture avec le pacte colonial (L’Harmattan, 2022, 456 pages).
Dans ses relations avec l’Afrique, « la France passe son temps à s’autoflageller », regrettait un « haut diplomate » devant Frédéric Lejeal lors d’un entretien préparatoire à sa somme critique sur le « déclin franco-africain ». Mais son livre participe lui aussi de cet exercice délétère et contre-productif, surtout dans sa section finale qui dénonce pêle-mêle en France un racisme anti-Noirs dans l’art et la littérature, ainsi que l’ignorance sociétale du continent africain, bien que la classe politique et les dirigeants n’aient cessé d’exciper de leur proximité et leur sympathie envers cette partie du monde. La sensibilité blessée de l’auteur lui joue un mauvais tour, en sapant ce qui aurait pu être la solidité objective de son plaidoyer pour un sursaut nécessaire, pour un rapport à l’Afrique assaini et libéré de ce qu’il nomme le « pacte colonial ».
Le principal mérite de ce témoignage indigné de l’ancien rédacteur de la publication confidentielle La Lettre du Continent ne se situe donc pas dans son aspect théorique, peu original et qui s’inscrit dans la ligne d’un courant montant de « décolonisation » des réflexions sur l’Afrique dans le monde occidental. Sa dénonciation du maintien d’un « pacte colonial » dans les relations franco-africaines n’a rien de novateur par rapport à la recherche universitaire française sur l’Afrique. L’expression, qui ne désigne pas dans cette acception l’ancien système économique de l’« exclusif » durant l’ère coloniale, mais une continuité stratégique avec celle-ci après la décolonisation, avait déjà été employée en ce sens, conjointement avec celui de « paradigme colonial », par la revue Politique africaine dans un numéro thématique de 2007. La notion de « schizophrénie » de la position française envers l’Afrique, tiraillée entre appels à la démocratisation et soutien de régimes autoritaires et corrompus, y était déjà exprimée elle aussi.
Le caractère opportun ou non de ces emprunts conceptuels n’est pas l’essentiel de l’intérêt du livre pour un public africaniste. Frédéric Lejeal fait preuve d’une authentique originalité et d’une grande précision dans l’appréhension de l’aspect économique du déclin de la France dans son ancien « pré carré » africain, comme dans l’examen détaillé des limites bien réelles des succès français dans ce qu’il appelle, de manière assez inappropriée il est vrai, « cette Afrique utile » hors des anciennes colonies françaises.
Sa connaissance personnelle approfondie du ballet des acteurs individuels des rapports franco-africains anime l’ensemble d’un ouvrage qui tourne ici ou là à une véritable chronique de cour, vue par un journaliste remarquablement informé.
Construit de manière un peu lâche pour un texte parfois trop dense, Le Déclin franco-africain est cependant scrupuleusement actualisé, contrairement à beaucoup de publications universitaires. Il constitue donc un guide précieux pour l’analyse de la politique africaine du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, sur laquelle il est aussi sévère que bien d’autres observateurs. Tous ceux qui s’intéressent à cette politique très personnelle, dans sa continuité comme dans ses ruptures avec le passé, doivent lire cet ouvrage, inégal mais attachant et rempli d’informations que l’on ne trouvera pas ailleurs.
François Gaulme
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