Auteur de l’article « Guerre d’Ukraine : un embarras pour Pékin » paru dans le numéro d’automne 2022 de Politique étrangère (3/2022), Marc Julienne, chercheur au Centre Asie de l’Ifri, répond à trois questions en exclusivité pour politique-etrangere.com.
- Au lendemain de la clôture du XXe Congrès du Parti communiste chinois, quelles sont les priorités de Pékin ?
La priorité de la nouvelle équipe dirigeante est de maintenir l’économie à flot. Pour ce faire, elle devra mettre fin aussi vite que possible à la politique Zéro-Covid qui interdit toute reprise viable. Malheureusement, cette politique devrait être maintenue encore pour de nombreux mois, dans la mesure où Pékin ne dispose toujours pas d’un vaccin suffisamment efficace pour protéger durablement sa population contre le virus, et refuse de se résoudre à importer des vaccins étrangers, ce qui constituerait pourtant la solution la plus rapide. Ainsi, en plus du ralentissement économique mondial, les perspectives de croissance du PIB chinois sont très faibles pour les années à venir, probablement pas plus de 3 %. La nouvelle équipe va ainsi devoir affronter des défis inédits en Chine depuis plus de 40 ans.
Une deuxième priorité, liée à la première, sera de naviguer dans un environnement international conflictuel, tout particulièrement face aux États-Unis. Le domaine d’affrontement numéro un entre les deux grandes puissances étant la technologie, Pékin se trouve actuellement dans une situation délicate après les dernières mesures américaines de contrôle des exportations draconiennes dans le secteur des semi-conducteurs.
- En quoi la posture ambiguë de la Chine dans le contexte de la guerre en Ukraine fragilise-t-elle sa position internationale ?
En réalité, la posture ambiguë de Pékin vise justement à fragiliser le moins possible sa position internationale. En n’aidant pas la Russie militairement ou financièrement, elle se préserve d’éventuelles sanctions. En se déclarant neutre, elle entend garder intact ses principes de politique étrangère revendiqués – souveraineté des États, intégrité territoriale – que Vladimir Poutine a pourtant bafoués.
Avec cette posture, la Chine cherche finalement à tenir un équilibre dans sa politique étrangère entre ses principes théoriques et un principe de réalité : elle a besoin du partenaire russe dans sa rivalité avec Washington. Le résultat est donc un soutien politique tacite de la Russie, sans intervenir d’aucune manière dans le conflit, pas même pour tenter de faciliter des pourparlers ou un cessez-le-feu, mesures que Pékin appelle pourtant de ses vœux.
- Quel est l’impact du conflit en Ukraine sur Taïwan ?
Les conséquences sont très diverses en fonction des acteurs considérés. Pour Pékin, la guerre d’Ukraine a été un test grandeur nature de la détermination des Occidentaux à défendre leurs principes idéologiques. Ni l’OTAN, ni les États-Unis ne sont intervenus militairement, mais la mobilisation internationale pour prendre des sanctions fortes contre Moscou a vraisemblablement surpris les dirigeants chinois, tout comme l’effet décisif de la fourniture d’armes à l’Ukraine sur l’évolution du conflit. Ainsi, la Chine a sans doute reconsidéré l’éventuelle réponse internationale au déclenchement d’une crise dans le détroit de Taïwan. Mais elle craint aussi d’autant plus l’augmentation des transferts d’armes américaines vers Taïpei, qui la pousse à adopter une attitude beaucoup plus résolue.
Côté taïwanais, la guerre d’Ukraine a sonné le signal d’alarme pour l’ensemble de la société. Le scénario d’invasion est devenu plus tangible et le rôle de la société civile dans un tel conflit est apparu évident. Or, la société taïwanaise n’est pas préparée à faire face à ce type d’offensive. Les réflexions avancent désormais pour mieux sensibiliser et préparer la population à une crise. Le service militaire, par exemple, devrait être significativement étendu, de quatre mois actuellement à un an potentiellement.
Pour le reste de la communauté internationale – les gouvernements, le secteur des affaires et les opinions publiques – l’Ukraine a brutalement rappelé la réalité de la guerre, et a poussé à considérer avec beaucoup plus de sérieux l’éventualité d’un conflit dans le détroit de Taïwan, en particulier à l’aune de l’augmentation des manœuvres militaires chinoises dans la zone.
Lisez l’article de Marc Julienne ici.
Retrouvez le sommaire du numéro 3/2022 de Politique étrangère ici.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.