Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2023 de Politique étrangère (n° 2/2023). Laure de Roucy-Rochegonde propose une analyse de l’ouvrage d’Étienne Dignat, La rançon de la terreur : Gouverner le marché des otages (Presses universitaires de France, 2023, 448 pages).

Photographie d'arrière-plan par Simon Hurry (Unsplash) représentant un hélicoptère militaire prêt à atterrir. Au premier plan, couverture du livre d'Étienne Dignat "La rançon de la terreur".

« Le rituel est connu, répété, cruel » annonce Étienne Dignat en prologue d’un ouvrage issu de sa thèse de doctorat. Ce rituel est celui, terrible, de l’enlèvement d’hommes et de femmes par des organisations désignées comme terroristes. C’est sur les réponses apportées par les États occidentaux aux demandes de rançons suivant ces prises d’otages que se penche le jeune docteur en science politique de Sciences Po Paris.

Face à ce qu’Étienne Dignat nomme le « dilemme des otages », deux approches sont traditionnellement possibles. La première, dite « solidaire », est celle de la plupart des États d’Europe continentale, en particulier l’Allemagne, l’Espagne, la France et l’Italie, qui consentent à s’acquitter des rançons – bien qu’ils prétendent souvent le contraire – pour sauver leurs citoyens. L’alternative « sacrificielle », privilégiée par les pays anglo-saxons, s’incarne dans un refus catégorique de « payer les terroristes », même s’il équivaut à la condamnation à mort d’un ressortissant. Alors que les premiers justifient le versement des rançons par des arguments déontologiques plaçant la vie au-dessus de toute autre considération – quitte à voir le montant des sommes exigées s’envoler –, les seconds adoptent plutôt une rhétorique conséquentialiste : le fait de payer renforcerait les groupes armés terroristes tout en les incitant à perpétrer de nouveaux enlèvements. Pourtant, ni l’une ni l’autre de ces approches ne permet d’endiguer les enlèvements de ressortissants occidentaux dans des zones contestées.

Parce qu’il juge qu’aucune de ces réponses n’est satisfaisante, le chercheur en propose une troisième, qu’il appelle « responsabilisante ». Celle-ci entend sortir les États du jeu pour éviter que les demandes des acteurs terroristes ne prennent encore de l’ampleur – par exemple par des demandes de libérations de prisonniers ou d’évacuation de certaines zones –, ou qu’une politique de fermeté ne donne lieu à des situations iniques – en particulier lorsque les familles des otages se voient interdire de payer la rançon sous peine d’être inculpées pour financement du terrorisme. En s’inspirant du dispositif des assurances Kidnap & Ransom, qui existent déjà pour les demandes de rançon émanant de groupes criminels, les enlèvements pourraient ainsi être largement évités et les sommes versées mieux contrôlées. Cette option présente également l’avantage de dépolitiser les concessions exigées par les preneurs d’otages, puisque les compagnies d’assurances ne sont pas en mesure d’accéder à des demandes politiques. L’approche « responsabilisante » implique, en revanche, comme son nom l’indique, de responsabiliser davantage les individus eux-mêmes et leurs employeurs, ce qui suppose d’abandonner le paradigme de la responsabilité absolue de l’État vis-à-vis de ses citoyens.

Résolument tourné vers le réel, cet essai s’appuie sur un répertoire extrêmement riche d’exemples contemporains, mais aussi sur quelque cent entretiens menés dans sept pays qui permettent, comme le souligne l’auteur lui-même, de « dépasser le cénacle académique ». En s’extrayant du dilemme « payer ou ne pas payer » pour lui préférer la question « qui doit payer ? », Étienne Dignat avance une solution concrète à un problème resté trop longtemps dans les zones d’ombre de la politique étrangère.

Laure de Roucy-Rochegonde

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