Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2023 de Politique étrangère (n° 4/2023). Myriam Benraad propose une analyse de l’ouvrage de Harrison Akins, Terrorism Trap: How the War on Terror Escalates Violence in America’s Partners States (Columbia University Press, 2023, 360 pages).

L’ouvrage d’Harrison Akins est tiré d’une thèse de doctorat, dont l’argument principal vise à démontrer que les campagnes américaines de contre-terrorisme depuis le 11 Septembre se sont soldées par un échec flagrant à contenir le flux et reflux de la violence djihadiste. Les principales organisations mondiales, Al-Qaïda et l’État islamique en tête, ont ainsi survécu à ces opérations militaires qui les ont pourtant inlassablement ciblées, sur fond, de plus, d’essor et de développement de bien d’autres factions extrémistes. La « guerre globale contre la terreur », lancée en 2001 par George W. Bush, aura donc eu pour effet pervers de contribuer à la mission elle-même globale que s’étaient fixée Al-Qaïda et son mentor Oussama ben Laden. Akins illustre avec quelles arrogance et certitudes l’Amérique s’est engouffrée dans des guerres coûteuses et calamiteuses (Afghanistan, Irak, Libye…) qui, cumulées, ont coûté la vie à des millions de personnes, déplacé des populations entières, semé le chaos dans des États désignés comme ennemis et, surtout, rendu le monde encore moins sûr alors qu’il s’agissait de le pacifier.

Depuis la fin des opérations majeures contre le groupe État islamique en Irak et en Syrie, les États-Unis poursuivent cette guerre en la considérant toujours nécessaire pour contrer la menace représentée par le djihadisme international. En ce sens, les attentats du 11 Septembre constituent toujours le point de référence de la politique étrangère américaine et de son tournant sécuritaire, la guerre contre la terreur apparaissant dans son omniprésence indépassable. Akins éclaire la manière dont le contre-terrorisme a peu à peu mué en obsession, au détriment d’autres priorités. Ceci n’a pas manqué d’aliéner nombre de pays du « Grand Moyen-Orient » (Égypte, Pakistan…) et du monde musulman au sens plus large (Sahel, Asie…) qui, tout en offrant leur coopération et leur participation à la guerre contre le terrorisme, en ont aussi assumé les revers souvent exorbitants (pertes humaines, dommages économiques et financiers). La méthode statistique mobilisée par l’auteur en fait la démonstration : le niveau et les répercussions du terrorisme n’ont cessé de s’aggraver dans les pays où les États-Unis ont appliqué ces campagnes contre-terroristes. Or, nombre de ces pays se trouvaient déjà affaiblis sur un plan interne, pour diverses raisons – aspect qu’il aurait été intéressant de documenter ici. Citons l’Afghanistan, où les talibans ont opéré leur retour fracassant à l’été 2021, le Yémen ou encore la Somalie, où les shebab sévissent encore aujourd’hui.

Quoique la question ne soit guère nouvelle et qu’une ample littérature lui soit consacrée, cet ouvrage a le mérite de s’assurer qu’elle ne soit pas oubliée : en vingt ans, qu’a apporté au monde, et à sa sécurité, la guerre globale contre la terreur ? Les États-Unis et leurs alliés se sont-ils condamnés à traquer inlassablement des organisations djihadistes qui s’affaiblissent aussi vite qu’elles se reconstituent ? Puisqu’il s’agissait de défendre les intérêts nationaux d’une Amérique touchée en plein cœur, quel bilan dresser au regard des pertes colossales essuyées du côté occidental ? Des nations devenues ingouvernables n’offrent-elles pas un espace idéal à ces groupes pour se recomposer sans cesse et continuer de frapper ?

Myriam Benraad

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