Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2023 de Politique étrangère (n° 4/2023). Aline Cateux propose une analyse de l’ouvrage d’Asya Metodieva, Foreign Fighters and Radical Influencers: Radical Milieus in the Postwar Balkans (Routledge, 2022, 188 pages).

Sur un sujet qui a alimenté de nombreux fantasmes, cet ouvrage livre une analyse précise du panorama des milieux salafistes dans les Balkans. L’auteure porte une attention particulière aux liens entre les séquelles des guerres de Bosnie-Herzégovine et du Kosovo, et la construction des cercles islamistes qui ont contribué au départ de combattants vers la Syrie aux premières années de l’existence de l’État islamique.

En s’appuyant sur une méthode qualitative mais aussi sur l’analyse de la littérature existante, la presse et des minutes de procès des tribunaux bosniens, ce sont les parcours de 400 combattants et recruteurs qui sont ici retracés. Ce court livre est organisé en neuf chapitres. Après une perspective théorique très détaillée, l’ouvrage livre les récits des origines des milieux radicaux kosovars et bosniens, puis les parcours des influenceurs et recruteurs radicaux, les processus de recrutement, les parcours des combattants et leur relation avec les diasporas. C’est donc un panorama complet du phénomène qui est présenté.

Le soin particulier qu’Asya Metodieva apporte aux définitions ainsi qu’aux descriptions des processus analysés offre une base de compréhension solide sur laquelle s’appuie ensuite sa démonstration. Plus que de « pourquoi », c’est bien de « comment » dont il s’agit ici. Comment le millier de combattants ayant rejoint la Syrie a été recruté, et quelles sont les conditions qui ont rendu possibles ces départs…

Pour Metodieva, c’est la fragilité des États en sortie de conflit qui a favorisé l’émergence et le développement de ces milieux islamistes radicaux. L’absence d’institutions politiques et sociales fiables, souvent rongées par la corruption, le népotisme et l’incompétence, a permis à des organisations islamistes de s’installer sous couvert d’activités humanitaires.

Il est particulièrement intéressant de comprendre à quel point les musulmans des Balkans étaient considérés par les influenceurs islamistes comme de mauvais croyants destinés à être « redressés » dans leur pratique religieuse, par le djihad entre autres.

À la lumière des conceptions souvent caricaturales véhiculées sur la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo, qui auraient été des bases arrière européennes du wahhabisme djihadiste, la rigueur d’Asya Metodieva recadre la discussion autour de ce qui a facilité le travail de ces influenceurs étrangers.

L’un des grands mérites de cet ouvrage est de contextualiser ces processus de recrutements et de départs, et de mettre en miroir les expériences de départ d’Europe de l’Ouest, largement motivées par la marginalisation des populations musulmanes, comme nous l’apprend l’excellent chapitre sur les diasporas.

On regrettera que l’analyse des sociétés dites « post-conflit » et de leurs fragilités ne soit pas plus détaillée. De même, un récapitulatif historique des politiques étrangères, l’histoire des relations entre les pays dont sont issus les combattants et principaux influenceurs radicaux et recruteurs aurait pu apporter plus de profondeur à l’analyse. Enfin, en dépit de nombreux entretiens et analyses de documents, notamment des tribunaux bosniens, on entend peu les mots des acteurs et de leur entourage : ils auraient complété l’approche des parcours restitués et permis de rendre plus vivantes ces expériences.

Le livre d’Asya Metodieva informera utilement les études sur le terrorisme, les violences politiques et les phénomènes de radicalisation.

Aline Cateux

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