Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2024 de Politique étrangère (n° 3/2024). Pierre Andrieu propose une analyse de l’ouvrage de Michaël Levystone, Asie centrale. Le réveil (Dunod, 2024, 264 pages).

L’auteur rappelle d’entrée la grande variété ethnique et culturelle des Centrasiatiques, qui « incarnent les héritiers d’un fascinant syncrétisme civilisationnel », fruit d’apports très divers.

Puis est retracée par le menu l’histoire de la région, entre le VIIIe siècle et 1991. Tout y est très détaillé – trop peut-être, avec quelques erreurs minimes –, de très nombreux cartouches thématiques et cartes aidant à la compréhension du texte.

L’auteur rappelle comme cette région, progressivement conquise par l’empire sédentaire russe, a été remodelée par l’URSS qui y a ancré des nations souvent inexistantes auparavant. Cette « politique stalinienne des nationalités » était censée les identifier afin, dans un second temps, de les fusionner en un peuple soviétique unique. C’est le contraire qui s’est passé avec la fin de l’URSS, lorsque les quinze républiques soviétiques sont devenues indépendantes.

Le chapitre consacré aux cinq républiques d’Asie centrale décrit, intelligemment et par le menu, leurs particularités. Ancien ambassadeur à Douchanbé, je porterai plus particulièrement mon attention sur le Tadjikistan, la plus petite et la plus pauvre, comparée au géant Kazakhstan et à ses richesses énergétiques et minérales, ou à l’Ouzbékistan et sa population.

Présidé par Emomali Rahmon depuis 1992, le plus ancien dirigeant de ses pairs centrasiatiques, le Tadjikistan se distingue par sa population d’origine persane et par sa langue qui, contrairement au farsi et au dari parlés respectivement en Iran et en Afghanistan, s’écrit en alphabet cyrillique. Les autorités de Douchanbé ont engagé une vigoureuse campagne de réaffirmation de l’identité tadjike, insistant sur son appartenance à l’antique civilisation persane. Cette identité n’a donc pas à être « recréée », comme ce serait le cas dans les autres républiques, mais seulement revitalisée. Mais l’auteur rappelle que le pays fait face à la progression de l’islam extrémiste alors que le régime est corrompu et népotique. Son avenir apparaît quelque peu sombre.

Le chapitre consacré aux relations extérieures « remodelées par les crises internationales » est remarquable. L’Asie centrale se situe « en plein cœur d’un arc de crises » où l’influence de la Russie semble se réduire depuis son agression de l’Ukraine. Cependant, remarque l’auteur, « il faut faire preuve de prudence, tant Moscou conserve de très forts leviers d’influence ». Ces évolutions fournissent à la Chine « un nouvel espace de projection économique », qui lui permet d’engager un dialogue politique nourri avec les cinq républiques dans le cadre de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et du format « 4 +1 » (Chine + les quatre pays).

Comme le rappelle le chapitre 4, les pays d’Asie centrale paraissent écartelés, d’une part, entre leur maintien au sein d’organisations comme la CEI, l’OTSC ou l’UEEA sous obédience de Moscou et, d’autre part, leur volonté de s’émanciper à travers l’OCS, où la Chine prend le pas sur la Russie. Leur recherche de partenariats au-delà de Moscou et de Pékin semble plus forte que leurs efforts de cohésion régionale.

L’auteur conclut avec justesse que l’Asie centrale est redevenue « une authentique terre de convoitise » ainsi que « la pierre angulaire d’une zone en pleine redéfinition géopolitique et géoéconomique ». Et d’ajouter qu’on ne peut parler de nouveau « Grand Jeu », tant le nombre d’acteurs extérieurs est plus important qu’au XIXe siècle, quand seuls les empires russe et britannique rivalisaient pour s’en assurer le contrôle.

Pierre Andrieu

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