Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2024 de Politique étrangère (n° 3/2024). Thibault Michel, chercheur au Centre énergie et climat de l’Ifri, propose une analyse croisée des ouvrages de Dana Fisher, Saving Ourselves: From Climate Shocks to Climate Action (Columbia University Press, 2024, 224 pages) et de Hannah Ritchie, Not the End of the World: How We Can Be the First Generation to Build a Sustainable Planet (Vintage, 2024, 352 pages).

En mars 2023, le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) publiait la synthèse de son sixième rapport d’évaluation, expliquant qu’un réchauffement de la planète de 1,5 °C serait atteint dès le début des années 2030. Cette actualité pose l’épineuse question de savoir où nous nous trouvons dans la lutte contre le changement climatique, ainsi que celle des effets produits par les actions des dernières années et décennies. Dana Fisher et Hannah Ritchie se penchent toutes deux sur ce sujet au travers de leurs ouvrages respectifs, avec des approches pour le moins différentes.

Dire que les conclusions que tirent Dana Fisher et Hannah Ritchie divergent tiendrait de l’euphémisme. Pour Fisher, la situation va de mal en pis et les réponses apportées jusqu’ici ne tendent en rien vers une résolution du problème, ni ne constituent un début de solution, ce qu’elle résume en ces termes : « La situation est mauvaise, elle empire, et rien de ce que nous avons fait jusque-là ne s’approche de ce qu’il est nécessaire de faire. » En tant que sociologue, elle accorde une attention particulière aux mouvements de protestation en faveur du climat et tente de comprendre comment ceux-ci peuvent s’inspirer de formations contestataires antérieures, tel le Civil Rights Movement. Dana Fisher tire également la conclusion qu’à l’heure actuelle, ces forces de protestation sont insuffisamment nombreuses pour permettre le changement systémique qu’elle juge nécessaire.

Selon elle, ce changement systémique ne pourra survenir qu’avec une profonde transformation dans la perception de la situation et dans les comportements, ce qu’elle appelle AnthroShift. Mais ce type de transformation ne s’opère que lorsque la société perçoit un risque comme étant suffisamment imminent et important. Le moteur de cette prise de conscience, ce sont les chocs opérés sur la population du fait des évènements climatiques (inondations, feux de forêts, chaleurs extrêmes…), qui feront évoluer les comportements et autoriseront ce changement systémique. Fisher se décrit comme une « optimiste apocalyptique », en ce que le changement climatique promet une série d’incitations de ce type, à l’occurrence de plus en plus forte.

Hannah Ritchie adopte un point de vue nettement plus optimiste sur la question. Tout en rappelant en préambule que son optimisme n’est en rien une incitation à attendre que les choses se fassent d’elles-mêmes, Ritchie choisit sept grandes thématiques (pollution de l’air, changement climatique, déforestation, alimentation, perte de biodiversité, plastique dans les océans et surpêche), afin de souligner les raisons autorisant à rester positif. S’il reste beaucoup à faire et si la situation demeure préoccupante en de nombreux endroits, elle rappelle que tout n’est pas perdu, loin de là.

Adoptant une vision très pragmatique, s’appuyant sur toute une série de données chiffrées, elle déconstruit nombre de mythes au fil de sa brillante démonstration : l’huile de palme est forcément nocive pour le climat et l’environnement, on devrait nécessairement substituer au plastique d’autres matériaux, la surpopulation de la planète est inévitable…

Hannah Ritchie se place aussi dans une véritable démarche pédagogique, apportant de nombreux éléments de compréhension aux différentes problématiques passées en revue. Son ouvrage constitue ainsi un guide précieux pour qui souhaite s’informer et mieux comprendre les grands enjeux climatiques, le « défi de notre génération ». Elle donne à son lecteur les moyens de réfléchir à ses propres actions du quotidien, sans jamais chercher à le culpabiliser ou à exprimer un jugement.

L’opposition entre Fisher et Ritchie est particulièrement visible sur leur interprétation de certains évènements. La première considère par exemple que si la société est parvenue à résoudre le problème des « trous » de la couche d’ozone, c’est seulement parce qu’une technologie permettant d’engendrer des bénéfices financiers a été mise sur pied pour cela. La seconde y voit plutôt un symbole que la coopération entre États est possible sur les sujets environnementaux, et peut aboutir à des résultats concrets et positifs. Comme expliqué en amont, Fisher considère que le signal devant motiver le changement systémique n’est pas encore présent, ou du moins pas encore perçu comme tel par la population. Pour Ritchie, ce signal est déjà pris en compte par certains acteurs et différentes actions montrent que tout est encore possible, bien qu’il faille redoubler d’efforts.

Si leurs approches divergent largement, Fisher et Ritchie partagent différents points de consensus. Elles considèrent par exemple que l’action individuelle ne permettra pas de répondre seule au dérèglement du climat : le changement doit s’opérer à l’échelle systémique. Elles rappellent également que ce changement ne sera pas populaire, et ne se fera pas sans disruptions.

Thibault Michel

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