Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2024 de Politique étrangère (n° 4/2024). Jean-Loup Samaan, ancien chercheur associé au Programme Turquie/Moyen-Orient de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Christophe Ayad, Géopolitique du Hezbollah (PUF, 2024, 216 pages).

Depuis sa création en 1983, le Hezbollah libanais a fait l’objet d’une vaste littérature académique. Dans cet ouvrage concis, le journaliste Christophe Ayad propose une synthèse qui, sans prétendre à l’exhaustivité, permet de faire le point sur un mouvement dont l’actualité récente nous rappelle la centralité au Moyen-Orient.
Ayad dévoile aux lecteurs les multiples facettes de cette organisation. Il nous rappelle d’abord que le Hezbollah est le produit de trois phénomènes : le « réveil » de la communauté chiite libanaise longtemps marginalisée politiquement et économiquement dans le Liban avant la guerre civile ; l’invasion israélienne du pays en 1982, suivie de la longue occupation du Sud-Liban par Tsahal jusqu’en 2000 ; enfin, l’exportation de la révolution islamique iranienne, ses leaders voyant dans l’apparition des milices chiites libanaises une opportunité d’étendre l’influence de Téhéran au Levant.
Dans ses premières années, le mouvement se réclame d’une idéologie islamiste qui prône l’imposition à Beyrouth de la théocratie à l’iranienne. Par ailleurs, il a recours à des pratiques terroristes tels l’enlèvement de ressortissants étrangers ou l’organisation d’attentats à la bombe (notamment contre les troupes américaines et françaises en 1983).
Toutefois, à l’issue de la guerre civile, le Hezbollah se transforme. Hassan Nasrallah, son secrétaire général à partir de 1992, enclenche une métamorphose du mouvement qui lui permet de rester au cœur de l’échiquier libanais : d’une part, le Hezbollah décide de rentrer dans le jeu politique de l’après-guerre civile à Beyrouth et abandonne son projet d’instauration d’une république islamique ; d’autre part, il consolide son assise sur le territoire libanais – de simple milice, il devient une organisation paramilitaire sans pareille dans le pays. Ce revirement stratégique n’est qu’un début : Ayad décrit dans le détail comme le Hezbollah devient progressivement un acteur incontournable également à l’échelle régionale.
La guerre de juillet 2006, au cours de laquelle ses combattants tiennent tête à l’armée israélienne, consolide l’aura de Hassan Nasrallah dans le monde arabe. La décennie suivante, le groupe se retrouve à former les milices irakiennes ou encore les Houthis yéménites qui voient dans la trajectoire du Hezbollah un exemple à suivre. En Syrie, ses combattants assurent la défense du régime de Bachar Al-Assad. Ce faisant, le Hezbollah coordonne ses opérations avec les troupes syriennes et iraniennes, mais aussi avec l’aviation russe venue en aide à Assad.
Ayad revient également sur le rôle du Hezbollah dans la neutralisation de ses ennemis à Beyrouth. On ne compte plus le nombre d’intellectuels ou d’hommes politiques libanais qui, depuis vingt ans, ont péri dans des assassinats perpétrés par le Hezbollah.
Ce livre offre un panorama riche et nuancé de l’organisation : sans aucune complaisance, Ayad montre que le Hezbollah est à la fois une organisation prédatrice qui prolonge la faiblesse de l’État libanais, et un acteur qui bénéficie d’un véritable soutien populaire au sein de la communauté chiite.
Publié en mars 2024, l’ouvrage n’a pu intégrer les événements ultérieurs, mais on ne peut que recommander aux lecteurs cherchant à comprendre les origines de l’actuel conflit de se plonger dans l’ouvrage de Christophe Ayad.
Jean-Loup Samaan
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