Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Rémy Hémez, chercheur au Laboratoire de recherche sur la défense (LRD) de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Seth G. Jones, Waging Insurgent Warfare: Lessons from the Vietcong to the Islamic State (Oxford University Press, 2017, 352 pages).

Waging Insurgent Warfare

Seth G. Jones est directeur de l’International Security and Policy Center de la Rand, professeur à l’université Johns Hopkins et auteur du remarqué In the Graveyard of Empires: America’s War in Afghanistan (2009). Il offre dans son dernier ouvrage un intéressant panorama de la guerre insurrectionnelle. Ce livre se veut un manuel aidant à la compréhension des conflits asymétriques, un pont entre une démarche académique et une approche de terrain, et un complément à des études qui se focaliseraient trop souvent sur la contre-insurrection plutôt que sur l’insurrection. L’auteur définit l’insurrection comme « une campagne politique et militaire d’un groupe (ou de groupes) non étatique(s) pour renverser un régime ou pour faire sécession ».

L’approche quantitative est largement utilisée par Seth G. Jones. Il s’appuie sur une base de données de 181 guerres insurrectionnelles qui se sont déroulées entre 1946 et 2015. Pour chaque insurrection, une centaine de facteurs sont pris en compte tels que l’issue de la guerre, le nombre de partisans, les buts de l’insurrection, le type d’organisation, etc. L’auteur arrive à des résultats qui suscitent la réflexion. Par exemple : une insurrection dure en moyenne 12 ans ; elle se termine dans 36 % des cas par une victoire des forces gouvernementales, à 35 % par celle des insurgés et à 29 % par un « nul ». Ce qui signifie que dans 71 % des cas, ce n’est pas un accord de paix mais bien les armes qui décident du sort d’une insurrection. La liste des cas étudiés est reproduite à la fin du livre avec quelques informations qui peuvent laisser le lecteur sur sa faim. Il est dommage que la totalité de la base de données ne soit pas disponible en ligne pour mieux comprendre certains résultats et permettre d’autres recherches.

Jones passe en revue six thèmes clés pour l’analyse des insurrections. Le premier concerne leurs débuts et permet d’étudier les facteurs permettant leur développement ou leur échec. Le deuxième thème est celui des stratégies mises en œuvre. Trois approches sont distinguées : guérilla, guerre conventionnelle et stratégie punitive. Vient ensuite l’étude des tactiques : embuscades, raids, assassinats ciblés, subversion, etc. L’auteur souligne le fait que, pour le moment, aucun mouvement utilisant les attaques-suicides n’est parvenu à renverser un gouvernement. Cela serait notamment dû au fait que ce genre d’attaques entraînerait une perte de soutien populaire. Le quatrième sujet est celui des structures organisationnelles. Les avantages et inconvénients de la centralisation ou de la décentralisation sont mis en avant. Le cinquième thème renvoie à la propagande et aux opérations d’information. Enfin, l’issue des insurrections est étudiée. Le soutien direct au combat d’un État extérieur est essentiel pour obtenir la victoire. En revanche, étonnamment, avoir une zone refuge n’augmenterait pas les chances de succès. Dans la dernière partie de son livre, l’auteur tire de ses recherches des conclusions intéressantes quant aux opérations de contre-insurrection.

Dans un style très clair et faisant preuve d’un vrai talent analytique, Seth G. Jones offre ainsi un outil précieux pour tous ceux qui s’intéressent aux insurrections, que ce soit du point de vue de l’historien militaire, de l’analyste des conflits contemporains ou du praticien.

Rémy Hémez

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