Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2021-2022 de Politique étrangère (n° 4/2021). Morgan Paglia propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Sten Rynning, Olivier Schmitt et Amélie Theussen, War Time: Temporality and the Decline of Western Military Power (Brookings Institution Press, 2021, 334 pages).

Dans cette somme dirigée par Sten Rynning, Olivier Schmitt et Amélie Theussen, chercheurs passés par l’université du Danemark du Sud, les auteurs tentent de saisir l’impact de la « temporalité » et de ses représentations sur les modes opératoires employés par les parties combattantes, et sur l’issue des conflits. Mises bout à bout, les normes d’une époque et les représentations liées à l’emploi des technologies alimentent un paradigme « temps de guerre » que les auteurs invitent à déconstruire, pour mieux penser l’avenir.

Ces dernières années, les pays occidentaux ont été défiés, parfois mis en échec, par des acteurs qui leur ont imposé un tempo et des conceptions sur l’emploi de la force différents. Outre l’emploi du temps court à travers la stratégie du « fait accompli » en mer de Chine, ou celui du temps long des « guerres sans fin » en Irak et en Afghanistan, les interactions avec ces rivaux stratégiques remettent en question des normes occidentales profondément ancrées, comme les frontières entre temps de paix/temps de guerre ou le « monopole militaire » évoqué par Norbert Elias.

Le renoncement des sociétés occidentales à poser clairement le débat sur le coût et les apports des interventions expéditionnaires est l’une des causes probables expliquant l’affaissement du « militarisme civique » – le consentement citoyen à l’effort militaire. L’incompréhension du public, les décalages constatés entre annonces initiales et réalité des opérations ont pu grever la capacité des pays occidentaux à placer leurs efforts financier et militaire au juste niveau des enjeux de chaque théâtre d’opérations.

Le culte de la vitesse, mantra des armées occidentales ces dernières décennies, a pu créer une distorsion supplémentaire. Ce primat de la vitesse, il est vrai, n’est pas sans fondement. Parmi les transformations prévisibles de l’art de la guerre, des technologies émergentes comme l’Intelligence artificielle ou l’hypervélocité favoriseront vraisemblablement les acteurs ayant la « gâchette » la plus facile, selon le principe Use it or lose. Néanmoins, en réduisant les affaires militaires à une gestion de paramètres technico-opérationnels – ou de risques –, la quête de la vitesse occulte, de fait, une partie de la dimension politico-stratégique inhérente à chaque conflit.

Relativement marginale dans un débat stratégique occidental technocentré, « la temporalité » insère avec pertinence une analyse des perceptions dans la conduite des conflits. Scénarios à l’appui, les auteurs proposent une immersion dans différents cas de figure. L’horizon retenu – 2024-2025 – est suffisamment proche pour développer des scénarios élaborés, et permet de tester, par exemple, une hypothétique Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) sans les États-Unis. À la question d’ensemble de l’ouvrage – déterminer si le déclin de l’Occident est en marche –, les auteurs apportent des clés de compréhension aussi utiles qu’originales. Le caractère novateur de leur approche ne réside pas seulement dans l’emploi de scénarios prospectifs tout au long de l’ouvrage. Elle apparaît également dans le souci de Sten Rynning, Olivier Schmitt et Amélie Theussen d’user d’une approche non dogmatique, réservant une part égale aux aspects « idéels » et « matériels » des relations internationales, trop souvent étudiés séparément.

Morgan Paglia

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