Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2023 de Politique étrangère (n° 4/2023). Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse associée au Centre Asie de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Kaamil Ahmed, I Feel No Peace: Rohingya Fleeing over Seas and Rivers (Hurst, 2023, 272 pages).

Dans la folie du monde, les Rohingyas sont un peuple oublié, négligé. Le premier intérêt de l’ouvrage de Kaamil Ahmed est de remettre la tragédie de cette communauté dans son contexte, historique, politique, international, de nous aider à comprendre pourquoi ce million et demi de personnes annonce peut-être des millions d’autres, ailleurs dans le monde.

L’auteur raconte étape par étape les événements qui ont touché cette communauté basée en Birmanie depuis la colonisation anglaise et persécutée depuis l’indépendance. Après avoir mené des centaines d’interviews, il raconte des histoires personnelles qui décrivent le drame de familles forcées à la tranquillité, voire au silence, pour ne pas se faire remarquer par les autorités birmanes (pas d’accès aux infrastructures publiques, pas le droit de sortir de leurs villages, pas de moyens de subsistance extérieurs aux villages…). Les jeunes sont sensibilisés aux discours extrémistes de l’ARSA (Armée du salut des Rohingyas de l’Arakan), quitte à les soutenir ponctuellement. Le choix est simple : sans avenir chez eux, ou ils fuient ou ils se battent, voire fuient après s’être battus. Sur le million et demi de Rohingyas en Birmanie avant 2017, plus de 700 000 ont fui au Bangladesh. La rivière Naf, qui fait office de frontière avec ce pays voisin, constitue une des portes de sortie.

Là aussi, comment trouver la paix ? Les Rohingyas sont privés de papiers d’identité et ne bénéficient d’aucune reconnaissance administrative. Certes, leur vie n’est plus menacée, une fois la Naf traversée, mais quel avenir les attend ? Le bidonville de Cox’s Bazar et autres camps de réfugiés, où l’insalubrité domine ainsi qu’une forme d’esclavage moderne, ne sont guère des lieux où reconstruire sa vie. Les Britanniques ont fait venir les Rohingyas en Birmanie pour pallier l’insuffisance de la force de travail ; ils étaient alors protégés pour la valeur qu’ils apportaient. Une fois l’indépendance acquise, Londres ne s’est pas soucié de leur sort, et Yangon n’avait aucune volonté d’intégrer ce groupe musulman dans une communauté nationale fragile et majoritairement bouddhiste. Les militaires qui ont pris le pouvoir à partir de 1962 vont achever de les ostraciser.

Après avoir raconté la lente détérioration de leur condition en Birmanie, l’ouvrage traite de l’accueil international réservé à cette communauté au XXIe siècle, au Bangladesh, en Malaisie ou ailleurs (Indonésie, Inde, Arabie Saoudite), toujours avec la peur au ventre. La troisième partie aborde la question des camps de réfugiés, leur combat pour plus de reconnaissance, de dignité et de justice. Le combat n’est pas terminé et la situation générale en Birmanie n’est pas de nature à aider  à la recherche d’un compromis.

Le livre de Kaamil Ahmed analyse une question ponctuelle aux retombées internationales évidentes à travers des histoires individuelles. Sans le prisme des médias occidentaux, souvent réducteurs, on comprend mieux les drames répétés qui touchent les Rohingyas. On pourra seulement regretter que le contexte historique ne soit pas plus longuement abordé, y compris dans sa période récente avec les efforts évidents de la période Aung San Suu Kyi, qu’on a souvent ignorés. C’est pourtant l’ancienne Première ministre, victime d’un coup d’État en 2021, qui avait travaillé à une solution durable (2016-2017), pour qu’enfin les Rohingyas trouvent la paix.

Sophie Boisseau du Rocher

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