Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2023 de Politique étrangère (n° 4/2023). Fatiha Dazi-Héni propose une analyse de l’ouvrage de David B. Roberts, Security Politics in the Gulf Monarchies: Continuity Amid Change (Columbia University Press, 2023, 320 pages).

Cet ouvrage balise avec une grande maîtrise l’évolution de la dynamique sécuritaire des six monarchies arabes de la péninsule arabique au cours des cinq dernières décennies. En choisissant d’analyser le concept de sécurité élargie tel que théorisé par l’école de Copenhague, David B. Roberts s’inspire du modèle esquissé par Barry Buzan et Ole Wæver, qui consiste à déployer les études sécuritaires au-delà du périmètre militaro-sécuritaire strict, en couvrant cinq aspects structurants : politique, sociétal, économique, militaire et environnemental. Même si les enseignements de cette approche méthodologique pour étudier les enjeux de sécurité dans la région du Golfe, à l’instar du RCS – Regional Security Complex –, ont largement été exploités, l’utilisation des cinq axes de la typologie de l’école de Copenhague pour le Golfe, qui rythme les cinq chapitres de cet ouvrage, est inédite. Elle permet à l’auteur d’appréhender le fonctionnement des six monarchies de manière systémique.

L’idée centrale de cet ouvrage est de démontrer que, en dépit des changements vertigineux engendrés par une modernisation à marche forcée depuis près de cinq décennies, les structures socio-politiques de base et les dynamiques en place dans ces pays restent inchangées. L’auteur considère que l’industrie des hydrocarbures restera cruciale en dépit de la diversification économique engagée. Celle-ci s’est accélérée au cours des années 2010, au moment des révolutions arabes, avec l’explosion des réseaux sociaux, la digitalisation et l’intrusion de la tech dans tous les secteurs de la vie sociale (économie de services, administration, télécommunications et, bien sûr, équipements militaires de pointe).

La raison de cette continuité annoncée, en dépit de développements réels, tient, selon Roberts, à l’enracinement profond de l’industrie pétrolière, qui a façonné ces monarchies dans leurs formes contemporaines. Pour l’auteur, l’accent mis sur les aspects modernes et innovants des économies en cours de diversification relève plus de la propagande que d’un véritable affranchissement de la dépendance pétrolière. De même, la transition écologique post-énergies fossiles se résume, selon lui, surtout à des actions de « techno-fétichisme » ou de green washing, compte tenu de l’absence de politique publique et de réelle prise de conscience des problèmes environnementaux par les sociétés.

Dans ces monarchies, le pouvoir s’articule dorénavant davantage autour d’individualités concentrant l’ensemble des ressources et promouvant un nationalisme qui engendre de nouvelles allégeances – avec le cas emblématique de la nouvelle Arabie Saoudite du prince héritier Mohammed ben Salmane.

L’auteur mentionne également l’attrait nouveau des monarchies du Golfe pour le modèle techno-autoritariste chinois, parallèlement à une dépendance de la présence militaire américaine, qui a déçu, et laisse aujourd’hui place à une approche diplomatique plus multipolaire. Cette dimension aurait mérité un développement plus significatif.

ll s’agit néanmoins là d’un ouvrage précieux, et de référence, pour étudiants et chercheurs travaillant sur la région. En outre, l’approche esquissée par Roberts fournit également un modèle pour l’analyse politique comparée et les études aréales en général.

Fatiha Dazi-Héni

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