Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2024 de Politique étrangère (n° 2/2024). Diana-Paula Gherasim, chercheuse au Centre énergie et climat de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Jean-Baptiste Fressoz, Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie (Seuil, 2024, 416 pages).
La lecture du livre de Jean-Baptiste Fressoz suscite des questions fondamentales : si la « transition » énergétique n’a jamais eu lieu par le passé, sera-t‑elle possible demain ? Et si cette transition était impossible (alors même que des signes en existent déjà), ou beaucoup plus lente que projeté, quelles solutions resteraient toujours à la portée de l’humanité dans un monde sans cesse sous la menace d’un collapsus écologique ? Alors que l’ouvrage n’offre pas de réponse à ces questions, et pourrait même laisser penser qu’une sorte de fatalité imparable est en marche, il permet néanmoins de tirer des leçons utiles pour se confronter à « l’énormité du défi climatique ».
Le premier constat de la lecture de cette « nouvelle histoire de l’énergie » est que, jusqu’à présent, il n’y a jamais eu de véritable stratégie de long terme poursuivie méthodiquement pour une transition d’une source d’énergie à une autre. L’adjonction des différentes sources d’énergie au système énergétique global s’est faite sur le fond des progrès technologiques et techniques, de la multiplication des intérêts et usages économiques et de la croissance de la demande. Un premier enseignement concerne donc la planification et l’action méthodique pour réaliser la transition (dans le sens d’une décarbonation du système économique), qui apparaissent comme indispensables pour rompre avec l’inertie du système énergétique. Dans cette perspective, l’approche européenne sous l’égide du Pacte vert européen, qui consiste à poser un véritable cadre législatif, trouve tout son sens.
Le deuxième fil conducteur est celui de la symbiose entre les énergies primaires : elle a permis leur accumulation et coexistence, et elle se pose comme obstacle majeur à la décarbonation. Le livre abonde en données et analyses montrant cette accablante interdépendance au cours de l’histoire : sans bois pour étayer les mines, pas ou peu de charbon extrait ; sans charbon pour faire fonctionner les machines à vapeur ou pour produire de l’acier, pas d’extraction ou de raffinage de pétrole ; sans pétrole et gaz pour produire les engrais de synthèse, pas d’accroissement de la productivité forestière… Il en découle que, du fait de ces imbrications, la transition ne se fera pas du jour au lendemain, et plus encore qu’il faudra la penser de manière holistique et s’attaquer à la question de l’intégration du système énergétique pour créer des nouvelles « boucles », maîtrisées et vertueuses.
Enfin, le livre de Jean-Baptiste Fressoz permet de saisir l’importance du narratif dans l’évolution de l’action mondiale en matière de lutte contre le changement climatique. Par exemple, l’idée lancée par Nordhaus selon laquelle la transition pourrait attendre l’émergence des nouvelles technologies et capitaux, le temps ne manquant pas pour une transition « ordonnée », a eu comme effet de retarder la prise de décisions fortes en faveur de la décarbonation. Ainsi, une dernière leçon clé serait celle de la nécessaire vigilance face aux narratifs qui s’installent, aussi bien dans les plus hautes sphères que dans nos sociétés, autour du changement climatique et de la transition énergétique. Si, selon le constat de l’auteur, « depuis les années 1980, [la transition] a accompagné la procrastination générale et elle continue de le faire », il nous appartient d’agir pour une véritable transition énergétique, sans déjà-vu, sans complaisance.
Diana-Paula Gherasim
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.