Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Yaël Hirsch propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Jean Guilaine et Jacques Sémelin, Violences de guerre, violences de masse. Une approche historique (La Découverte/Inrap, 2016, 400 pages).

Violences de guerre

Cet ouvrage regroupe 22 communications au colloque international « Archéologie de la violence. Violence de guerre, violence de masse » organisé par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) et le musée du Louvre-Lens en 2014, et éclaire les enjeux d’un renouvellement de la discipline archéologique. En fouillant vestiges et ossements, en reconstituant des scènes de mort, elle « dénonce les maquillages, les outrances et les perversions » de l’histoire contemporaine.

La première partie montre comment l’archéologie permet d’affirmer que la violence n’est pas inhérente à la condition humaine. L’impossibilité (jusqu’ici) de trouver un site où les corps porteraient des traces de violence volontaire et communautaire avant 12 000 av. J.-C. (avec le Site 117 des bords du Nil) semble bien prouver que la guerre apparaît au prénéolithique, avec une mutation des conditions démographiques, climatiques et techniques. L’étude de fosses communes antiques comme Tell Brak (4 000 av. J.-C.) ou Himère (Ve siècle av. J.-C.) montre quelles sont les pratiques de guerre par l’état des corps (décapitations, blessures, inhumation) et les armes laissées sur le terrain.

La deuxième partie questionne la méthodologie. Qu’est-ce qu’une « zone de combat » ? Que fait-on quand on exhume la tombe d’un personnage célèbre comme Richard III, et comment utiliser les sources textuelles ? Enfin, comment l’archéologie transforme-t-elle ses outils forgés par l’étude de civilisations antiques pour l’étude des « guerres totales » contemporaines ?

Le troisième chapitre parle de l’histoire moderne comme de « l’avènement de la guerre totale » comme si les violences européennes d’États en formation n’avaient été que des prémices aux meurtres de masse du XXe siècle. L’étude de plusieurs villages abandonnés en Bohême durant la guerre de Trente Ans montre que c’est en multipliant les sites que le travail archéologique peut se faire. Sur un terrain de violences, la première mission de l’archéologie est de compter et de nommer les morts, pour réviser parfois les données retenues par les sources (camps de concentration en Afrique du Sud, 1899-1902).

Trois chapitres sont dédiés à la Première Guerre mondiale. L’approche « au ras du sol » de l’archéologie a permis une réévaluation complète du conflit, par la quantité de corps et d’armes retrouvés. En travaillant avec les autorités du patrimoine pour rendre accessibles les sites de combats, l’archéologie propose une démocratisation. Et l’enjeu de l’identification est évidemment crucial, avec les aléas de ce que les tests génétiques peuvent révéler.

Après un chapitre sur la guerre d’Espagne et un autre sur les bourreaux ordinaires, la dernière partie du recueil se concentre sur les génocides. Les fouilles de Treblinka ont permis de révéler l’organisation du camp, notamment le lieu des chambres à gaz, et d’inhumer les restes humains découverts. En Bosnie, où les victimes ont systématiquement été déterrées et dispersées dans des fosses secondaires et tertiaires par les génocidaires pour masquer leurs exactions, le travail des archéologues a permis d’identifier de nombreux corps. Indispensable pour l’étude des violences contemporaines, l’archéologie joue donc un tout nouveau rôle, qui va bien au-delà de son dialogue avec la discipline historique. « Contribuer à la réhumanisation des morts » est une tâche sociale, éthique et politique.

Yaël Hirsch

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